• 3-Différentes approches de l’urbain et du rural

    Par Sylvie Marchand

     

    L'utilisation des termes de campagne, rural, ville, urbain exige de définir des concepts statistiques adaptés. En effet, la mesure statistique ne peut être contingente aux représentations, même si elle doit évoluer dans le temps en fonction des questions posées. Le choix des concepts est un exercice difficile et dépend souvent des informations disponibles. De plus, l lecture des territoires que chaque concept permet est largement dépendante de la maille géographique retenue, notamment de l’arbitrage entre un échelon administratif (commune) ou de l’information carroyée. Ces approches multiples sont certainement une difficulté pour appréhender simplement le territoire mais elles sont nécessaires à une bonne compréhension des questions d'aujourd'hui de croissance, de cohésion et de développement des territoires.

    Une première lecture possible est celle des cartes de la densité de population par commune, qui permettent de repérer les agglomérations de population, les villes, et les espaces peu peuplés, que beaucoup assimilent à la campagne. Avec 116 habitants au kilomètre carré et près de 36 000 communes, la France métropolitaine se distingue des grands pays européens (sauf l’Espagne) par sa faible densité de population. En dehors de la région parisienne, la campagne n'est jamais loin, contribuant ainsi à l'attrait touristique de notre pays. Plus agricole et rurale au 19ème siècle que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, la France a néanmoins été transformée par l'industrialisation et l'essor des villes. Jusqu’aux années 60, l'exode rural a contribué à vider les campagnes, en raison de la croissance de la productivité dans l’agriculture et des besoins des industries. Dans les années 70 et 80, le déclin démographique, notamment lié à la crise des industries traditionnelles, atteint de nombreux espaces situés dans la « diagonale aride » qui traverse la France du Nord-est jusqu’au Sud-ouest. En revanche, dans les zones rurales du reste du pays restent implantées de petites industries, voire de grandes entreprises, notamment dans l'Ouest et le Sud-ouest, la politique volontariste d’aménagement du territoire ayant favorisé le développement de ces régions et la croissance de la population.  Au 21ème siècle, avec l’attrait croissant du littoral et des métropoles du sud, de l’ouest et du sillon rhodanien, la hausse de la densité de population dans ces espaces se poursuit et s’intensifie, en dépit des difficultés des industries en milieu rural.

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    Définir les villes et la campagne

    Comme Éric Charmes le décrit dans « La ville émiettée » (2015), les habitants ont tendance à se concentrer autour des grandes agglomérations dans des bourgs de petite et moyenne importance, qu’ils aient quitté la ville-centre ou la campagne. Ces « péri-urbains » s’installent en périphérie de ces bourgs et c’est ainsi que la ville s’étend. Par ailleurs, l’emploi, notamment des activités commerciales et logistiques, se déplace pour partie des coeurs de villes, de plus en plus tertiarisés, vers les premières couronnes. Cela facilite l’installation d’habitants dans des espaces plus éloignés du centre de la ville.

    L’Insee s’est efforcé d’approcher les concentrations de population (les villes) et les espaces peu densément peuplés (la campagne) de plusieurs manières. Depuis les années soixante, il a stabilisé un concept d’unité urbaine qui repose sur la continuité du bâti (pas de coupure de plus de 200 mètres) et un nombre d’habitants minimum (2 000 habitants en zone bâtie). C’est une conception morphologique de la ville, elle permet d’identifier ce qui « ressemble » à un milieu urbain. Les unités urbaines, qualifiées de pôles urbains ou ruraux selon leur taille, représentent, en 2014, 50 millions d’habitants, soit les trois quarts de la population française alors que dans les années cinquante, elles en représentaient seulement la moitié. Dans cette définition, les communes qui n’appartiennent pas à une unité urbaine sont considérées comme rurales. Outre cette insuffisante qualification du rural, les détracteurs des unités urbaines reprochent à cette définition de majorer la mesure de l'urbain. Notamment car elle prendrait en compte des espaces publics ou industriels et commerciaux, vides d'habitants, pour mesurer la continuité du bâti.

    L’Insee s’intéresse également à l’influence de la ville et définit l'espace dans lequel les habitants sont en lien étroit avec elle. Ce lien est défini en termes d'emploi et de mobilité domicile-travail, car la mesure est facile à partir du recensement de la population et ce lien est souvent à la fois solide et durable. Pour mesurer le rayonnement et l'influence des villes, on pourrait également s’intéresser à la fréquentation d’un certain nombre d’équipements culturels, sportifs, de santé, commerciaux...[1] Autour des pôles d'emploi (unités urbaines comportant plus de 1 500 emplois) sont ainsi définies des couronnes périurbaines dont au moins 40 % de la population travaille dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci. Certaines communes sont dites multipolarisées car leurs habitants se répartissent entre plusieurs pôles d’emploi. Les pôles urbains et leurs couronnes constituent les aires urbaines. Les communes qui n’appartiennent pas aux aires urbaines et à l’espace multipolarisé sont considérées comme isolées, hors de l’influence des villes.

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    Selon ces deux définitions, unités urbaines et aires urbaines, les espaces situés en dehors des villes, que beaucoup qualifient de ruraux, sont définis en creux, ce qui est fréquemment reproché. Une forte demande s’adresse à l’Insee pour qu’il définisse mieux ce que sont les communes et l’espace rural.

     

    Le « rural », une notion complexe

    L’espace rural est une notion qui présente plusieurs facettes, il ne peut être défini d’une seule manière. Autrefois assimilé aux espaces agricoles, l’espace rural s’en est progressivement détaché, avec la diminution de l’emprise de l’agriculture et des emplois agricoles. Le rural garde cependant une forte connotation paysagère, d’ailleurs l’attrait des espaces périurbains, outre les possibilités de logement, vient principalement de leur proximité avec la campagne. Pour Éric Charmes, les périurbains ont un mode de vie en grande partie urbain mais voient la campagne depuis leur fenêtre. Le rural c’est un cadre de vie, des aménités liées à l’environnement et les avantages d’un mode de vie de village. Pour mesurer celui-ci, certains préfèrent d’ailleurs, comme les maires ruraux de France, définir les communes rurales comme ayant un nombre d’habitants inférieur à un seuil (3 500 habitants par exemple).

    Afin de saisir cette complexité, l’Insee a mis en œuvre une nouvelle méthode, issue de travaux européens définissant une « grille d’urbanisation ». En 2015, a été construite une « grille de densité »[2] pour la France qui mesure la densité des espaces à la fois en termes d’importance de la population et de concentration de cette population. En effet, il ne suffit pas d’avoir une faible densité de population pour être rural, il faut aussi que cette population soit peu concentrée. L’exemple d’Arles, et de nombreuses autres communes françaises, le montre bien, car le territoire communal est très étendu mais la population n’occupe qu’une petite fraction de l’espace. Dans sa partie habitée, la commune d’Arles peut être considérée comme dense.

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    La grille de densité de l’Insee définit quatre niveaux, de « dense » à « très peu dense ». Le phénomène nouveau, depuis le début des années 2000, est que même les communes de très faible densité gagnent des habitants. Seuls quelques espaces restent en déprise démographique au nord-est de la France et dans les franges du massif central.

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    Cependant, il ne suffit pas qu’une commune soit peu ou très peu dense pour qu’elle soit rurale. Il faut aussi qu’elle ne fasse pas partie de la couronne des pôles urbains, donc qu’au sens des aires urbaines, elle soit hors de l’influence des villes. À partir de ce croisement entre aires urbaines et grille de densité, on peut donc approcher une notion de « rural isolé » qui correspond à des communes peu denses ou très peu denses hors de l’influence des villes (Aliaga, 2015 ; Baccaïni, 2016).

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    La population des communes peu denses et très peu denses hors de l’influence des pôles urbains, le « rural isolé », a diminué entre 2009 et 2014 (en moyenne, respectivement de -0,02 % par an pour les peu denses et de -0,20 % par an pour les très peu denses). En revanche, dans celles qui sont situées dans l’espace urbain, la population a augmenté de 0,78 % par an (communes peu denses) et de 0,51 % par an (communes très peu denses). Cette croissance est plus rapide que celle des communes de forte densité.

     

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    Une troisième dimension peut être ajoutée au degré de densité et à l'éloignement des villes, c'est l'enclavement de la commune. Celui-ci peut être mesuré par des critères géographiques mais aussi par l'accessibilité, notamment aux services de la vie courante. C’est souvent par référence à ce critère que l’on parle aujourd’hui de désertification des espaces ruraux.

     

    Décrire et comprendre les différents espaces

    La question de la définition de l’urbain et du rural pourrait sembler moins centrale avec l’homogénéisation des modes de vie, la moindre spécialisation économique des territoires et la diversification des mobilités. Cependant un certain nombre d’éléments plaident pour l’utilisation de descripteurs et de concepts adaptés pour comprendre et analyser la situation, l’évolution et le potentiel des territoires dits ruraux. On peut citer quelques-uns de ces enjeux : la montée en puissance des questions de « nature » ou l’essor résidentiel du rural… Il faut notamment prendre en compte la mutation et la diversification économique du rural avec la chute de l’emploi agricole, les fortunes diverses des activités industrielles - entre industries traditionnelles, clusters et secteurs innovants -, ainsi que l’expansion rapide des services à la population, notamment pour les personnes âgées. Le rapport ville/campagne ou la distinction urbain/rural sont de plus en plus difficiles à apprécier et les espaces se différencient désormais davantage par leur fonction, résidentielle ou productive, ou par les emplois offerts et leur niveau de qualification. Le lien et la complémentarité ville/campagne est d’actualité[3] et semble la condition, pour beaucoup d’auteurs[4], d’un développement économique de l’ensemble des territoires.

     

    Éléments bibliographiques

    Aliaga Christel, Eusébio Pascal, Levy David, Une nouvelle approche sur les espaces à forte et faible densité, Insee-Références « La France et ses territoires », 2015.

    Aliaga Christel, Les zonages d'étude de l'Insee, Insee-Méthodes N°129, mars 2015.

    Baccaïni Brigitte, Les différentes approches du rural, Pouvoirs locaux N°108, 2016.

    Barbier Max, Toutin Gilles, Levy David, L’accès aux services, une question de densité des territoires, Insee Première N°1579, janvier 2016.

    Charmes Éric, La ville émiettée, PUF, 2011.

    Clanché François, Rascol Odile, Le découpage en unités urbaines de 2010, Insee Première N°1364, août 2011.

    Lainé Frédéric, Dynamique de l’emploi et des métiers : quelle fracture territoriale ?, France Stratégie, Note d’analyse N°53, février 2017.

     


    [1]Il existe cependant moins de données statistiques.

    [2]L'Insee a préféré ne pas utiliser le terme « urbanisation » de la grille européenne pour ne pas donner d'interprétation a priori sur le caractère urbain ou non.

    [3]Notamment dans les contrats de réciprocité urbain/rural mis en place suite aux assises de la ruralité de 2014.

    [4]Voir notamment l’étude de Frédéric Lainé pour France Stratégie, 2017.


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